Un autre souvenir de la venue du Pape Jean Paul II à La Réunion en 1989.
Le Concorde du Pape 1 Mai 1989
Nous terminions, mon mari et moi un voyage à Paris . Il nous fallait impérativement rentrer à la Réunion .
Comme exigé par la compagnie, huit jours avant, nous nous sommes présentés à l’agence Air France pour confirmer la date de notre retour : une formalité aussi simple que fastidieuse.
Et là, stupeur ! le vol était tout bonnement supprimé !
Personne ne nous avait prévenus, c’était une annonce abrupte qui nous prenait de court : que faire ?
Nous étions déconcertés et médusés par la désinvolture de la compagnie pourtant peu connue pour ses fantaisies.
Etait-il possible de trouver une place sur un vol programmé la veille ? Non ! = le vol précédent était complet .
Bloqués à Paris, face à un mur de refus, nous commencions à être irrités . Aucune solution alors ?
Si ! Il y en avait peut être une : Concorde !
Concorde ? …..
Sur la ligne Paris-Réunion ? ….. Non ? Si !
Le vol en Concorde était en effet possible la France ayant décidé de mettre cet avion à disposition du Pape Jean-Paul II au départ de sa brève escale à la Réunion .
Le supersonique se rendait à destination à vide.
C’est en raison de ce voyage papal que notre vol initial avait été supprimé.
L’apprendre a augmenté notre colère car il est évident qu’un voyage pareil est organisé minutieusement de longue date, par conséquent depuis belle lurette il aurait du être possible d’anticiper la suppression de notre vol régulier, sans avoir à l’annuler au dernier moment au risque de mettre les nombreux passagers dans l’embarras.
Bon !
Tentant ! : nous n’avions jamais imaginé, même en rêve, voyager sur cet avion mythique ….
Va pour un voyage en Concorde, mais…. à quel prix ?
Le personnel a expliqué que le coût en serait fatalement plus élevé que celui initialement prévu pour notre retour – nous avions, comme toujours, un billet de classe touriste – mais que ce ne serait pas non plus le prix normal du Concorde ( le siège le plus couteux existant alors ) .
En effet, comme l’avion devait faire le voyage aller à vide, trouver au débotté des passagers d’accords pour emprunter ce moyen de transport luxueux était une opportunité à saisir pour la compagnie .
De plus il était judicieux de faire un geste commercial envers ceux qui accepteraient d’embarquer sur ce vol à la place du leur, annulé inopinément : une façon de compenser la gène occasionnée….
Le prix offert était, effectivement, et pour cause, très supérieur à celui de la classe touriste, mais, il restait, vraiment, en dessous du prix ordinairement payé pour voyager en Concorde : c’était en quelque sorte une occasion unique de voyager sur la ligne Paris-Réunion dans cet avion prestigieux….. à bon ( ? ) compte !…..
Le billet s’avérait cher, mais nous avions déjà payé pour un vol classique, il ne restait plus qu’à compléter la différence : en apparence cela semblait plus abordable que si nous avions dû tout payer d’un seul coup…..
Pour voler sur Concorde….., pourquoi pas ?
Mon mari et moi nous sommes concertés du regard : j’ai haussé les épaules, m’en remettant à son choix.
Il a accepté la proposition .
Nous sommes repartis soulagés d’avoir pu, au pied levé, compenser la suppression de notre vol régulier, non sans avoir la vague impression de nous être fait arnaqués.
Finalement, après coup, en rentrant, à pied, nous nous sommes félicités de ce contre temps aux conséquences surprenantes : un mal pour un bien.
Voyager sur Concorde s’est révélé être vraiment une expérience très particulière de bout en bout.
Le jour dit, arrivés à Roissy, dès le début, l’exceptionnel nous attendait : les surprises se sont succédées.
Il y avait une banque spéciale pour cet avion ; aucune attente, une prise en charge attentive et nominative ( = la sensation d’être personnellement attendu ) , un court trajet vers le salon d’attente Concorde, là, tout près.
Accompagnés par une hôtesse portant la tenue « Concorde », nous sommes arrivés devant un immense buffet : j’ai immédiatement regretté d’avoir déjà déjeuné .
Il y avait pléthore de viennoiseries : des petits et des gros croissants, des pains au chocolat, des pains au lait, des brioches…. des pains de mie, des pains de toutes sortes – complet, de campagne, tradition… des œufs coque, mollet, au plat avec du bacon, brouillés, des omelettes, …. des saucisses/haricots comme les anglais les aiment,… des jus de fruits de toutes les couleurs, des corbeilles débordantes de fruits …… des confitures, des marmelades….. des quantités merveilleuses de choses délicieuses pour accompagnées thé, café ou chocolat….
Un vrai bonheur !
Mais j’avais déjà déjeuné… j’ai pris, juste pour la forme, pour qu’il ne soit pas dit que toutes ces bonnes choses étaient offertes pour rien, un croissant, auquel finalement je n’ai pas touché.
Les passagers se sont dirigés, chacun à son rythme, il n’y avait pas de cohue, vers cet avion magnifique stationné juste devant nous.
De bout en bout de notre parcours nous étions accompagnés, conduits, accueillis nommément, et nous avons rapidement pris goût à ce confort personnalisé : l’être humain s’accommode vite de ce qui le flatte……
A l’entrée de l’avion nous avons traversé une cabine toute blanche équipée d’un unique et confortable fauteuil blanc devant lequel était installé un prie-Dieu blanc aussi ; de l’autre côté du couloir : une grande jardinière pleine de Phalaenopsis** blancs ; le fond : un rideau plissé…. blanc.
Cet espace destiné au voyage du Pape était profond de deux mètres environ : petit, et, somme toute, modeste – modeste, mais dans le plus bel avion du monde, spécialement affrété – .
Il faut dire que, dans cet avion, tout est petit : il ressemble à un tube étroit*, très éloigné des vastes espaces familiers des Boeing 747 que nous connaissons.
Dans la cabine lumineuse, de part et d’autre du couloir central, deux sièges, pas plus, et, en hauteur, on a juste de quoi se tenir debout.
L’avion peut recevoir une centaine de passagers.
Cette fois là nous étions quarante : le personnel nous a laissés nous installer à notre guise ; nous étions si peu – des happy few comme on dit aujourd’hui – que nous avions le choix de notre place.
A ce niveau de confort tous les sièges se valent !
Pour quelqu’un comme moi qui ai beaucoup voyagé, certes, mais toujours en classe touriste, tout ce qui se passait était une grande surprise ; je n’ai jamais connu le luxe et le confort, là, je me rattrapais !
Au décollage le Concorde se cabre de façon spectaculaire, et il vrombit . C’est assourdissant et pendant quelques minutes on est cloué sur le siège : j’ai eu l’impression de participer de tout mon corps à l’effort fait par l’avion pour s’arracher au sol.
Puis, toujours incliné, il adopte une position compatible avec un déplacement : le personnel se déploie.
Première attention un coffret Waterman contenant un stylo plume plaqué or, laqué, signé « Concorde».
Ravis mon mari et moi regardons avec joie cet objet de luxe : le modèle homme est différent du mien !
Quelle raffinement !
Le voyage commence bien ! .
La suite ne nous a pas déçus :
succession de petits cadeaux raffinés = un flacon de parfum l’Air du Temps de Nina Ricci,
trousse de toilette complète et
porte – document en galuchat,*** distribution de revues luxueuses, musique, écouteurs, le tout ( papier à lettre, allumettes, miroir , tous marqués Concorde etc. ).
Trois heures vite écoulées à jouir des attentions du personnel, à suivre sur le « Machmètre » affiché sur la cloison de la cabine, la vitesse toujours changeante, de l’avion, et ce, jusqu’à Mach 2 .
Un diplôme prouvant que nous avons bien franchi le mur du son nous est remis, manuscrit. Cela ressemble à ce qui se faisait autrefois lors du passage de l’équateur en paquebot.
Souvenir d’une expérience unique !
Nous nous sommes posés à Djibouti pour refaire le plein de kérozene, sans descendre de l’avion .
Nous étions à mi-parcours.
Un bon repas nous a été servi accompagné de vin fin, sur une nappe, dans une vaisselle blanche en faïence, avec des verres, des couverts en argent, des serviettes en tissus.
A l’arrivée l’accueil a été, comme celui de Roissy, spécial et rapide.
Tout éberlués, nous étions arrivés en un rien de temps : partis de Paris à neuf heures nous étions là à 15 heures ( heures locales ), soit six heures de vol ..
Incroyable ! Un vrai rêve ! Quel voyage merveilleux !
Arrivés chez nous, à St Denis, nous avons commencé à retrouver nos repères, j’ai allumé la radio machinalement : le Pape s’apprêtait à quitter la préfecture pour remonter la rue de Paris jusqu’à l’Evêché .
Je ne m’attendais pas à arriver à temps pour participer au déplacement du Pape : quelle chance !
Aussitôt, encore habillée de mes vêtements chauds, j’ai quitté ma maison de la rue
- Garros pour aller voir ce qui se passait rue de Paris : la papamobile ne s’y était pas encore engagée.
Je me suis précipitée pour aller chercher mon mari afin qu’il puisse, avec moi, applaudir au passage du Pape.
Quel bonheur, tout compte fait : un vol somptueux et court !
Moi qui croyais arriver trop tard, et fourbue, je suis là, à temps pour participer à la visite Papale !
C’est à Saint Jean-Paul II que je le dois, merci à lui ! Quel souvenir !
Tout cela pour un voyage annulé…
….. « Bon Dié lé grand ! » .
Pour conclure, je dirais aux personnes qui se moquent, amusées par mon émerveillement, que, si j’ai voyagé beaucoup et loin, ça n’a jamais été dans des conditions confortables .
En réalité ça se passait dans des conditions à peine acceptables : j’ai toujours voyagé en « classe pénible » .
A moi les longues files d’attente à des heures impossibles, les salles d’attente bondées, les embarquements tardifs au milieu des passagers fatigués et irascibles, des enfants en larmes, les cabines bondées, chargées jusqu’à l’horizon .
J’ai connu les services d’une lenteur infinie, le charriot du repas loin de moi, à trente rangées, poussé par des hôtesses sèches et cassantes ; les toilettes occupées, s’ouvrant enfin sur une mare d’urine, une vasque minuscule souillée, dépourvue de tous produits d’hygiène, y compris – on s’en aperçoit trop tard – de papier toilette, et pour cause : la cuvette des WC en est pleine, nauséabonde…….
Certes, j’ai pu me déplacer et je ne regrette rien, mais j’ai l’impression clairement, d’avoir été maltraitée.
Avec ce vol en Concorde, sur un trajet familier, habituellement desservi par la bétaillère, tout a été vraiment différent, et je me suis sentie choyée .
Ps :
* la cabine mesure 2,62 m de large, pour 1,96 de hauteur !
** *Rien de spectaculaire aujourd’hui, mais c’était en 1989 et, en ces temps anciens, les jardinières d’orchidées fleuries n’étaient pas si communes.
*** galuchat = cuir de requin .
You tube : Un ciel signé Concorde .
https://www.youtube.com/watch?v=ei3rKxwdo3M
MC